UNE PRIÈRE



Ce n'est pas tant que la vie soit si courte, mais c'est vrai que parfois, les journées sont longues. Le temps ne passe pas vraiment le cours de certains jours, et c'est bien plutôt nous qui passons à travers lui. Il passe et se brise comme une fenêtre ouverte sur le mur de l'habitude, sur la plaine de marbre du quotidien dont on fait romans et chansons. Son éclatement blanc, fixera sous la peau quelques milliers de cassons cinglants que l'on appelle tour à tour secondes, instants, souvenirs ou sentiments passagers… Un passage clandestin à peine digne d'être chanté ? Une peine si légère, une guigne si frêle qu'elle s'envolerait au lieu de flotter. Du fracas de verre ne demeureront que des micro-particules luminescentes, comme une fine couche de neige supplémentaire sur le pôle, sur la surface plane des heures et des jours. Des colliers, des chaînes ADN, des spirales de secondes translucides et invisibles à l'œil nu que seul, un passage au rayon X de l'ennui, révèle.

J'aime mon ennui car la mort me dégoûte. J'aime que le temps dure, qu'il soit dur avec moi et me fasse sentir le poids de son passage le plus mou. Je veux sentir le poids prométhéen de chacune de ses secondes, pour n'avoir à dire que le moins possible voire jamais, que telle ou telle journée — qui est aussi excroissance de mon corps, exo-organe et vie minuscule — ait ainsi pu vite passer… Non ! Je ne veux que la vie me soit dévoration pérenne du foie. Je ne puis être que souffrance. Mais si cela se devait, parfois, alors qu'elle le fasse avec mélancolie. Qu'elle accomplisse son œuvre avec fièvre et méticulosité. Qu'elle me saigne donc au ralenti, la vie ! Qu'elle fasse donc que je sois vivant même lorsque je meurs, et que les arbres continuent de pousser. Je vivrai cette contre-aventure avec mes yeux pris dans les miens, tout ensemble en moi penchés, l'ange d'ici-bas, le chien recroquevillé, le calme bloc marmoréen et l'horizon crépusculaire gisant au plus lointain. Amen. Rahamakou'llah

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