PHASES

Je voudrais juste que ça continue comme ça, tout droit, à cheval sur la flèche du temps. Je voudrais des phrases justes, qui durent dans leur objectif propre comme dans une bulle allongée. Qu'elles quittent sans cesse leur orbite, leurs rails, leur aire fauve et qu'elles arrêtent de tourner sur elles-mêmes comme des chiens avant de se coucher — nez dans leur cul. Je voudrais des phrases qui avancent debout. Des phrases qui décollent de la boue à leurs semelles. Des phrases qui marchent comme la vie marche dans la tête. Je voudrais ne pouvoir écrire que des attaques de phrase, des débuts sans but, des têtes de pont et des têtes de phrases. Je voudrais juste des phrases en phase avec l'air ambiant. Des phrases à bouche de lion qui n'auraient pas besoin d'ailes. Des phrases avalant l'air comme les locomotives. Des locophrases. Des phrases avides de mouvement et dont le seul carburant serait cette avidité même. Des phrases omnivores. Des omniphrases. Des phrases n'ayant plus le sentiment d'être un peu juste, d'être gênées aux entournures. Des phrases qui se moqueraient de la phrase d'avant et de la phase d'après, qui se foutraient de leur tournure comme de vraies pommes du verger. Des phrases impuissantes. Des phrases n'ayant barre sur rien. Des phrases sans barre, sans voile, sans moteur ni canot de sauvetage. Des presque sans pilote. Des phrases qui seraient presque des phrases. Des fresques sans mur. Des phresques ?

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